Comment est née l’application Wesireport ? Christophe Guerin : Nous sommes partis d’un constat de terrain. Nous travaillions tous deux dans la même association sur le volet insertion professionnelle des personnes en situation de handicap. Nous avons identifié une problématique récurrente dans l’accompagnement des personnes lorsqu’elles sont en entreprise. La majorité des efforts sont mis au début de l’accompagnement, mais au fil du temps, celui-ci s’étiole. Un certain nombre d’employeurs nous rappelaient plusieurs mois, voire des années plus tard pour nous signaler un problème avec leur salarié, une rupture dans le parcours. Mais à ce moment-là, il était déjà trop tard. Nous nous sommes donc demandé : comment agir de manière préventive pour éviter ces ruptures ? En questionnant les accompagnants, nous nous sommes rendu compte que certains signaux faibles auraient pu, en amont, révéler le problème. Qu’appelez-vous les signaux faibles ? Christophe Lecuyer : Les signaux faibles, ce sont pour moi des points de fragilité qui non traités deviennent rapidement des points de blocage. Pris de manière isolée, ces signaux ne veulent pas dire grand-chose. Mais lorsqu’on les met bout à bout, ils permettent de mieux appréhender une situation. La plupart du temps, les êtres humains se disent : je peux gérer. De nombreux travailleurs se disent cela, du salarié au patron. C’est pour cela qu’il y a tant de burn out par exemple. Mais lorsqu’on arrive au point de rupture, on ne peut plus faire grand-chose. Lorsque la personne ne vient plus au travail ou qu’il y a une perte totale de productivité, c’est déjà trop tard. Ce constat d’échec était vécu par nos équipes. Nous avons donc imaginé un outil, Wesireport (Weak Signal Report) afin de collecter ces signaux faibles pour faciliter le travail des accompagnateurs et sécuriser le parcours des salariés en situation de fragilité. Pourquoi avoir fait le choix d’une application web ? Christophe Lecuyer : Nous avons fait ce choix après avoir réalisé une enquête auprès des personnes concernées. Les personnes interrogées ont majoritairement déclaré qu’elles seraient plus à l’aise pour utiliser une interface que de parler directement à un professionnel. Au fond, c’est logique. Tous les jours, quand on rencontre quelqu’un, on lui pose la question : « Salut, tu vas bien ? » Mais on écoute pas la réponse. La plupart des gens n’ont pas envie d’entendre un « non ça ne va pas ». Il y a toujours une crainte quant à la manière dont la réponse va être reçue. Alors que lorsqu’on répond à un SMS, il n’y a pas de jugement. Comment fonctionne votre application ? Christophe Guerin : Tous les jours de la semaine, sauf le week-end, l’application pousse des questions par SMS aux travailleurs. Les questions ne sont pas frontales. On reste sur des éléments factuels. « Est-ce que ça va ? Est-ce qu’il s’est passé quelque chose aujourd’hui qui t’a posé problème ? » La nature de la réponse fait varier un score. Ce score a été préalablement défini avec l’accompagnant du travailleur. Si on se rapproche du seuil d’alerte, l’accompagnant reçoit un mail. En cas d’alerte, tout ce que verra l’accompagnant, c’est une courbe, une variation d’un score, mais pas les réponses de la personne. Cette courbe permettra à l’accompagnant de se rapprocher du travailleur et de l’employeur pour désamorcer le problème en amont. Vous avez intégré cette année le programme 21xOETH. Que vous a apporté cet accélérateur ? Christophe Guerin : Quand nous avons intégré le programme 21xOETH début 2021, l’outil était prêt, il fonctionnait. Nous avons pu bénéficier d’un accompagnement de six mois et profiter de mécénat de compétences pour amener d’autres fonctionnalités à l’application. Mais surtout, grâce à la Croix-Rouge et à OETH, nous avons profité de différents terrains d’expérimentation pour vérifier l’impact de l’application sur le parcours des travailleurs en situation de handicap. Nous avons pu tester l’outil pendant cinq mois auprès de 30 utilisateurs répartis dans trois structures de la Croix-Rouge. Cela nous a permis d’améliorer le processus pour accompagner au mieux les professionnels et les utilisateurs. Nous avons eu des retours concrets des utilisateurs. Quels résultats a donné cette période de test auprès des utilisateurs ? Christophe Lecuyer : L’étude d’impact menée pendant la phase test a permis de confirmer l’intérêt de Wesireport. Nous savons déjà que l’outil est utilisé par les personnes concernées. Sur toute la période d’expérimentation, nous avons comptabilisé un taux de réponse aux alentours de 80 %. Deuxième élément important, l’application a permis de repérer des situations à problèmes, elle a envoyé des alertes. Enfin, nous avons pu observer que ces alertes n’auraient pas été identifiées autrement. L’accompagnant qui a reçu l’alerte est allé voir le chef d’équipe qui n’avait absolument rien vu venir. Pour lui, tout allait bien du côté de son employé en situation de handicap. Mais ce n’était pas le cas. On peut très bien côtoyer une personne tous les jours et ne pas voir qu’elle ne va pas bien. La proximité n’est pas une garantie que tout va bien. Quelles sont les prochaines étapes de développement de Wesireport ? Christophe Lecuyer : Actuellement, nous sommes dans une phase de vente directe. Nous avons déjà atteint un tiers de nos objectifs pour 2022. Une levée de fonds est prévue pour assurer un développement pérenne de la structure. Nous avons la chance d’avoir un partenariat qui continue avec OETH. L’association a souhaité utiliser l’application pour le suivi des travailleurs en situation de handicap dans les entreprises adaptées. La subvention d’OETH vise à outiller cinq entreprises adaptées en France avec Wesireport pour toucher 50 salariés sur l’ensemble des structures. Christophe Guerin : La première étape consistera à déployer l’application auprès de toutes les personnes en situation de handicap en emploi et à consolider notre modèle. Nous pensons dans le futur élargir l’application à d’autres publics en situation de fragilité, notamment aux personnes en insertion. Et puis pourquoi pas aux personnes âgées pour renforcer le maintien à domicile, ou encore aux jeunes pour prévenir le décrochage scolaire.Christophe Guérin & Christophe Lecuyer
Fondateurs de Wesireport
« Wesireport est un outil pour sécuriser le parcours des salariés en situation de fragilité »
Wesireport (Weak Signal Report) est une application web créée en 2018 pour détecter et interpréter « des signaux faibles » afin de prévenir les ruptures de parcours des salariés en situation de fragilité. Lauréat 2020 du programme 21xOETH, Wesireport a bénéficié d’un soutien financier et d’un accompagnement pour accélérer son développement. Pour comprendre l’intérêt de cet outil dans l’accompagnement des personnes handicapées dans l’emploi, rencontre avec ses créateurs, Christophe Guerin et Christophe Lecuyer.