Lorsque vous avez intégré à la Croix-Rouge française il y a 10 ans, quelle était la réalité de l’inclusion des travailleurs handicapés au sein des établissements de l’organisation ? À l’époque, l’inclusion des personnes en situation de handicap était déjà un sujet discuté au sein de la Croix-Rouge française. Néanmoins, les actions étaient insuffisantes. Ce qui était assez étonnant et qui peut sembler paradoxal, car nous sommes un gros opérateur du secteur du handicap, avec une expertise solide dans l’accompagnement des personnes handicapées. Pour autant, le sujet du handicap au travail a longtemps été et reste encore tabou. Nous avons regardé les chiffres : il y a 10 ans, notre taux d’emploi des personnes en situation de handicap était de 3,5 %. Aujourd’hui nous en sommes à 5,9 %. Nous sommes presque arrivés aux 6 %, mais évidemment, l’objectif ce n’est pas de s’arrêter là, mais d’aller beaucoup plus loin encore. Les choses s’accélèrent, une prise de conscience a lieu, notamment grâce à l’accompagnement de l’OETH. Quelles ont été les principales avancées au sein de l’organisation concernant l’inclusion des travailleurs en situation de handicap ? En 2013, nous avons créé une mission handicap au sein de la direction des ressources humaines. Son action se poursuit aujourd’hui autour de quatre grands objectifs : le développement de l’embauche des travailleurs handicapés, l’intégration durable des travailleurs handicapés, la garantie d’un parcours sécurisé au sein de la Croix-Rouge française, un accompagnement personnalisé des situations d’inaptitude. Nous avons également déployé des correspondants handicap en régions : ils portent l’accord OETH, déclinent sur le terrain la politique de la Mission Handicap Nationale. Ils agissent aussi sur la prévention des inaptitudes et du handicap. Nous sommes en train de renforcer la formation des salariés pour garantir une meilleure inclusion des travailleurs handicapés. Nous développons l’accompagnement par les pairs et la participation des personnes en situation de handicap, avec notamment le projet Epop, accéléré dans notre programme 21X OETH. Nous travaillons régulièrement avec l’association OETH sur ces questions. Du côté du plaidoyer, nous avons réaffirmé dans notre stratégie pour 2030, l’idée d’une société toujours plus inclusive pour faire face aux crises à venir. En tant que directeur général, j’ai une réelle volonté de favoriser l’emploi des travailleurs handicapés. Je tiens par exemple beaucoup au Duoday. Chaque année, je forme un duo avec une personne en situation de handicap pendant une journée. L’impact de ces initiatives pour changer les mentalités et lever les appréhensions est tout de suite visible. Nous montrons qu’il est possible pour les salariés, les managers, d’inclure des personnes en situation de handicap dans les équipes. Avec le recul, comment analysez-vous l’évolution de l’accès à l’emploi des personnes en situation de handicap en France ? Le chemin est encore long à parcourir. Nous ne sommes pas à l’abri de retours en arrière, comme on a pu le voir avec certaines polémiques récentes pendant cette période de précampagne présidentielle. Il reste selon moi à simplifier les demandes et démarches administratives des personnes en situation de handicap. Des dynamiques de simplification sont en cours, mais cela reste insuffisant. En revanche, tout ce qui a été fait d’un point de vue réglementaire et législatif atteste d’avancées. La loi de 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel a apporté des évolutions positives avec ses nouvelles règles. Un vrai changement de mentalité est à l’œuvre, avec une diminution des a priori et des préjugés qui peuvent toucher les travailleurs en situation de handicap. J’ai plutôt l’habitude de voir le verre à moitié plein. Les organisations du secteur sanitaire et social privé à but non lucratif, comme celle que vous représentez ont-elles, selon vous, une responsabilité supplémentaire concernant l’accès et le maintien dans l’emploi des personnes en situation de handicap ? Tout le monde doit avoir cette responsabilité, c’est certain. Mais effectivement, notre secteur se doit d’être exemplaire sur l’inclusion des travailleurs handicapés. Je crois au pouvoir d’entraînement et de transformation de la société par des acteurs qui ont un impact sociétal positif. Pour autant, il faut prendre en compte le fait qu’aujourd’hui, notre secteur fait face à un certain nombre de difficultés, notamment sur la question de l’attractivité de nos métiers. Nous avons des soucis de pénurie de personnel. La question de l’inclusion ne doit pas être vécue comme un effort supplémentaire par les équipes. Il est donc nécessaire d’expérimenter, de créer des évènements, il faut faire changer le regard des gens. Des dispositifs, comme le programme OASIS, le permettent : des stagiaires en situation de handicap viennent travailler dans nos équipes, nous ouvrent les yeux. Les nombreuses adaptations de l’environnement de travail ont servi l’ensemble des salariés, même des salariés qui n’étaient pas en situation de handicap. La notion de performance au travail est elle aussi questionnée. Nous demandons à nos managers de prendre un peu de hauteur, car la performance dans notre secteur se mesure en fonction de l’impact social de nos activités sur les personnes. Nos salariés sont en recherche de sens et de cohérence dans leur engagement. Nous ne pourrons pas changer les mentalités ni accompagner ces transformations si nous n’appliquons pas à nous-mêmes les changements que nous préconisons pour l’ensemble de la société. À titre personnel, quels avantages pensez-vous que la société peut tirer d’une inclusion effective des personnes en situation de handicap? On s’enrichit toujours de la différence, c’est certain. J’ai parlé précédemment de notre plaidoyer pour 2030. Nous cherchons à porter l’idée de résilience pour faire face aux crises sociales et environnementales actuelles et à venir. Au fond, ce que l’on a toutes et tous découvert pendant cette pandémie, c’est une vulnérabilité partagée. Nous avions jusqu’alors l’habitude que cette vulnérabilité touche “les autres”, les personnes en situation de handicap, les précaires, les personnes âgées. Cette prise de conscience collective crée des élans de solidarité qui renforcent la résilience collective. Nous le voyons quotidiennement dans nos organisations. Les gens qui s’engagent pour les autres à nos côtés ont bien souvent déjà connu des difficultés personnelles. Des situations de rupture personnelle naissent l’attention à l’autre, la force de l’engagement. Nous avons besoin de cette diversité pour enrichir notre société et sa résistance. Comment se traduit le soutien d’OETH à la Croix-Rouge française au quotidien ? OETH nous permet de bénéficier d’une expertise indéniable sur la question des travailleurs handicapés. Nous devons être en capacité de reconnaître le handicap de certains de nos salariés, de créer un climat de confiance pour parler de ces questions, accompagner les salariés dans leurs démarches. C’est une vraie force de se reposer sur l’expertise d’OETH, appliquée à notre secteur des métiers du sanitaire, social, médico-social et de formation. L’OETH nous accompagne sur le suivi des réglementations, la mise à disposition d’outils de formation. Nous avons noué un partenariat pour soutenir l’innovation avec l’accélérateur 21. Son objectif est de promouvoir et accompagner le développement de solutions innovantes pour améliorer le quotidien des travailleurs handicapés et de prévenir les situations d’usure professionnelle des agents de notre secteur. Nous sommes un organisme d’intérêt général : notre accélérateur permet d’expérimenter ces solutions dans notre réseau pour en faire bénéficier ensuite le plus grand nombre. Aussi, l’agilité et la réactivité de l’association ont été très précieuses pendant cette période de crise. Grâce au soutien financier d’OETH, nous avons pu doubler les aménagements de poste, bénéficier de l’envoi de masques inclusifs et de démarches administratives facilitées, c’est extrêmement appréciable. Être signataire de l’accord OETH, ce n’est pas être un numéro dans une organisation. Il est important de préserver cette connaissance de nos organisations, avec nos « doubles casquettes » d’accompagnants de personnes en situation de handicap et ce souci d’inclusion exemplaire des travailleurs handicapés dans les équipes.Jean-Christophe Combe
Directeur général de la Croix-Rouge française.
« Notre secteur se doit d’être exemplaire dans l’inclusion des travailleurs en situation de handicap »
Depuis 2017, Jean-Christophe Combe est le directeur général de la Croix-Rouge française, signataire historique de l’accord OETH. Il livre sa vision sur la question de l’emploi des travailleurs handicapés et rappelle le devoir d’exemplarité dans ce domaine des organisations du secteur sanitaire social et médico-social privé à but non lucratif.